Réception au château. On reçoit du beau monde ce soir. Les habits d’apparat sont mis, on veut impressionner, l’occasion est trop belle. La table dressée est prête à accueillir tout le monde. Juste avant que le brouhaha de la fête ne commence, on met le vin en carafe, histoire qu’il puisse prendre l’air, développer son arôme au mieux. Là, par acquis de conscience, on goûte. Et, ô scandale, on réalise qu’il a le goût de bouchon. Que faire? Il est tard, on entend déjà les pas des premiers convives résonner entre les murs de la vieille ville. Pragmatiquement, on trouve la solution. Simple. Ouf! On court donc à la station service juste un peu plus loin. Ni vu ni connu, on y achète un cubi de vin chilien, en action d’ailleurs, il est bien en évidence, on n’a pas mis long pour le trouver, comme si le gérant avait prévu ce genre de besoins, de coups durs. Sur le chemin du retour on réalise bien qu’il y a encore de la lumière chez le vigneron, voisin du château. C’est vrai, on oublie parfois, il a des insomnies le pauvre! Pas facile de tenir comme vigneron par les temps qui courent. Qu’importe, le vin est tiré, il faut le boire. La fête peut maintenant être belle!
Ce petit conte m’est né la nuit juste après la parution de l’article d’Arcinfo consacré à la réaction d’acteurs culturels suite à la publication d’un clip vidéo utilisant une musique produite en Écosse en guise de promotion du canton de Neuchâtel à la Fête des Vignerons 2019 de Vevey. Cet article qui a fait la une d’Arcinfo du 19.07.19 faisait suite à mon coup de gueule sur facebook qui avait fait l’objet de réactions d’ici et d’ailleurs. Ci-dessous quelques réflexions à la suite de tout ceci.
Générique ou original, vous avez le choix
Quelques jours avaient passé après ma prise de position, et au moment où le journaliste Frédéric Mérat m’a contacté en vue de cet article, je me suis replongée dans cette vidéo et les commentaires et partages sur le réseau social. Quelle ne fut pas ma surprise! Le générique d’où j’avais tiré le nom du groupe et le titre de la musique avaient disparus. J’avoue être surprise et j’en connaîtrais volontiers la raison, les tenants et les aboutissants.
Ce générique ayant disparu, je n’ai pas pu retrouver ces informations par moi-même (oui j’efface régulièrement l’historique de mon navigateur et les outils de reconnaissance musicale que j’ai utilisés n’ont été d’aucune utilité au vu du niveau d’originalité de la musique). J’aurais notamment volontiers cherché sous quelle licence exacte cette musique a été publiée, en particulier si la gratuité impliquait la citation. Dans ce cas précis l’État en effaçant le générique, donc la citation, serait en infraction des droits d’auteurs et de paternité.
Pressés, foulés par le temps
La musique commandée ne convenait pas? Des musiciens il y en a beaucoup dans le canton. Même des qui utilisent les fameux « four chords » de la pop, puisque ça, visiblement, ça convenait.
Si la chancellerie n’en connaissait pas, le Service de la culture du canton en connaît. Ou du moins devrait en connaître. Dans tous les cas sait qui contacter pour trouver rapidement une solution à cet épineux problème esthétique.
J’offre d’ailleurs volontiers un café (torréfié à 500 ou 1000m
d’altitude) au malheureux musicien initialement mandaté et
finalement débouté par l’état. Avis à l’amateur (professionnel
je n’en doute pas).
Soyons constructifs: et pour une prochaine fois?
Raconter une histoire, faire rêver, c’est pas le boulot d’une chancellerie d’état et de chargés de comm. C’est en tout cas mon avis. Faire rêver, émouvoir par une histoire, c’est un métier, c’est des métiers. Des métiers qui s’apprennent en Haute École d’ailleurs (et même à Neuchâtel, en tout cas pour l’instant encore!).
Pour construire une route ou enseigner le français aux requérants, l’État fait des appels d’offre. Pourquoi ceci n’est pas une pratique pour les mandats culturels? À mes yeux, une vidéo de promotion du canton est un chantier comme un autre, pour lequel un appel d’offre peut être lancé, avec un cahier des charges précis et des critères de sélection transparents et objectifs. Diffusé par voie de presse, internet, réseaux sociaux et j’en passe, les acteurs culturels pourraient tous être au courant des chantiers, pourraient tous proposer leurs idées. Cela me paraît être une voie plus démocratique que le mandat proposé aux personnes que l’on connaît et que l’on a « sous la main », processus souvent utilisé par ici.
Pour rappel, la transparence des critères de sélection des projets soutenus par l’État est d’ailleurs une des revendications clé de la FNAAC, la Fédération neuchâteloise des actrices et acteurs culturels en vue de la future loi sur le soutien de la culture.
«Nos excuses, nous avons merdé»
Un ami vigneron, qui a d’ailleurs sûrement des insomnies par moment, a eu une très belle réaction lorsque nous avons évoqué ensemble cette « affaire ». « La chancellerie aurait simplement pu dire «Désolés, là on a fait une erreur, on fera mieux la prochaine fois» ». Mais c’est vrai, accepter et surtout communiquer le fait qu’on a fait une erreur, qu’on s’est trompé ou qu’on doute ne fait pas partie du ton actuel. Mais ça c’est un autre sujet.
Joyeuse fête!
Ma réaction face à tout ceci ne se veut pas trouble-fête, mais regard critique sur les usages autour de la culture, là où je vis, là où je paie mes impôts. Je souhaite donc sincèrement une excellente fête à tous ceux qui participeront à la journée cantonale neuchâteloise de la Fête des Vignerons 2019 le 10 août prochain à Vevey.
Plein succès à tous, en particulier à mes collègues musiciens qui partageront leur création avec le public.
Je ne pourrai pas être personnellement à cette fête, mais promis, là où je serai ce jour-là, je boirai à la santé de tous les participants de cette journée – vous l’aurez deviné, avec l’excellent oeil de perdrix de mon ami vigneron.
P.S. Un pavé du château dans le lac de Neuchâtel
Last but not least (moi aussi je vais piocher outre-Manche), je tiens ici à remercier sincèrement Arcinfo de l’amplification de mon coup de gueule sur les réseaux sociaux. Votre journal (la Julie dirait-on à Vevey) s’est ainsi fait porte-parole de mes excès de voix au Stamm du nouveau café du commerce où chacun boit son ballon de blanc (neuchâtelois bien sûr!) tranquillement installé sur son canapé, à son bureau ou dans les transports publics.
C’est par un conte que j’ai commencé cet article de blog. Dans une même optique de monde idéal où tous les princes charmants servent le vin de leur voisin vigneron (qui n’a plus d’insomnies du coup, le chanceux), j’ai envie de finir sur une note bisounours.
Je rêve qu’un jour ce soit le contenu artistique que j’élabore avec la complicité essentielle de mes collègues artisans musiciens, réalisateurs, dessinateurs, écrivains, comédiens, etc., qui soit en une de notre feuille de choux locale. Ce contenu, nous y travaillons quotidiennement, nous l’affinons, l’élaborons avec passion et professionnalisme, empli de réflexion sur ce qu’est notre monde et ce qu’il pourrait être.
Année après année, chaque jour sur l’établi nous remettons notre ouvrage, nourris par nos expériences d’ici et nos échanges avec ailleurs. Et quand nous avons l’impression qu’il a assez mûri pour être partagé, pour sortir de notre atelier, nous nous permettons de solliciter vos rédacteurs pour que vous vous fassiez amplificateur critique de nos réflexions sociétales et temporelles.
Parce qu’objectivement, mes notes de musique sont bien plus intéressantes et plus agréables à déguster que mes vulgaires statuts sur le livre-au-visage-bleu-et-blanc.
Félicitations Barbara pour ton coup de gueule !
Meilleures pensées.
Liliane